lundi 14 janvier 2013

Inventaire à la Prévert


La lecture assidue des registres paroissiaux est une façon originale d'aborder la diversité de la nature humaine. Les prêtres qui inscrivent les actes de baptême, de mariage et de sépulture, en y ajoutant parfois quelque récit ou quelque réflexion personnelle, y laissent transparaître certains traits de leur caractère.

Je n'ai pas fait d'études de graphologie et je sais que cette technique est parfois contestée, mais je ne puis m'empêcher d'imaginer le rédacteur à partir des signes qu'il trace à la plume sur le papier. Voici un inventaire non exhaustif, établi au fil de mes recherches. J'ai remarqué à ce jour :
  • Les amoureux du travail bien fait, qui s'appliquent à former des lignes régulières,
  • Les pressés, qui jettent en hâte et presque en désordre les mots sur la page,
  • Les élégants, qui accompagnent leur signature d'une "ruche", cet entrelacs difficile à reproduire, qui souligne l'habileté de son auteur,
  • Les distraits, qui font des taches et des ratures, s'y reprenant à plusieurs fois pour citer un témoin,
  • Ceux qui confondent les Isabelle et les Elisabeth,
  • Les soigneux, qui réservent une marge à gauche de la page,
  • Les pointilleux, qui tirent des traits de séparation entre les actes,
  • Les artistes, qui dessinent des fioritures en bas de page pour combler les vides,
  • Les paresseux, qui se contentent de la mention "les mêmes mois et an que dessus" et vous obligent à relire tous les actes qui précèdent,
  • Les économes, qui casent tant bien que mal un acte supplémentaire dans la page et vous font tourner le registre en tous sens pour le déchiffrer,
  • Les statisticiens, qui numérotent les baptêmes, les mariages et les sépultures pour en faire le décompte à la fin de l'année,
  • Les comptables, qui indiquent les montants payés par leurs paroissiens pour les cérémonies,
  • Et puis ceux, que je ne remercierai jamais assez, qui mentionnent les noms de famille dans la marge, ou ceux qui ont eu la riche idée d'établir des tables chronologiques et alphabétiques…
Il m'est arrivé aussi de voir l'écriture d'un même curé se dégrader au fil des ans, peut-être à mesure que sa santé se détériorait, de constater que le vicaire le remplaçait de plus en plus souvent dans l'administration des sacrements, jusqu'à ce qu'un acte de sépulture signé de tous les prêtres du voisinage indiquât que le titulaire était passé de vie à trépas.

Je pourrais également dresser un palmarès de mes religieux favoris pour leur écriture parfaitement régulière, qui induit un véritable confort de lecture :
  • François Caternault, curé du Lion-d'Angers à la fin du XVIIe siècle,
  • Messire Pellier, curé du village d'Aydoilles, dans les Vosges, au tout début du XVIIIe siècle,
  • J. Morin, vicaire du Puy-Notre-Dame, en Anjou, à la fin du XVIIe siècle,
  • Messire Trolat, curé de Peyrus, dans la Drôme, au début du XVIIIe siècle,
  • G. Gerard, vicaire de Romagny, dans le sud de la Manche, au milieu du XVIIIe siècle.
Mais la palme revient sans contexte au calligraphe anonyme des registres paroissiaux de Saint-Fraimbault de Lassay, qui m'évoque irrésistiblement les moines copistes médiévaux. J'ai d'abord cru qu'il s'agissait de René Chesneau, curé de l'église paroissiale, jusqu'à ce que je tombe sur ce document(1).

Source : Archives départementales de la Mayenne
En voici la transcription :

"coppie./.
Nous René chesneau prêtre curé de l'Eglise
paroissialle de saint fraimbault de lassay
certifions que le present livre de baptêmes
mariges (sic) & mortuaires a este faict par
nous conforme à l'original pour estre mis
es mains de me Jean-baptiste vaultier
commis à l'Exercice de la charge de greffier
garde & conservateur des registres. Fait ce
jourdhuy Douzieme Janvier mil-sept-cent-un.
chesneau"

Ce à quoi le sieur Vaultier réplique :

"Receu l'original du present registre que
jay retenu attendu que la presente grosse n'est
pas (ratures) signée du sr. curé (ratures) ny vicaire.
fait au mans ce 25 feb. 1701
Vaultier"

Ce n'est donc pas à René Chesneau, mais à un scribe anonyme que nous devons ce remarquable exemple de calligraphie !



(1) AD Mayenne, Lassay-les-Châteaux, E dépôt 94/E8, vue 129/394.

1 commentaire:

  1. Bonjour, Dominique
    Fidèle lectrice de ton blog du lundi.
    Tu me régales avec tes notes et réflexions sur tes recherches généalogiques. J'ai vu aussi des trucs intéressants, au passage, mais hélas je n'ai rien noté... Il faudra que j'améliore tout ça.

    RépondreSupprimer

Votre commentaire sera publié après approbation.