lundi 24 juin 2013

Autre mariage, autre photo


Il s'agit cette fois de mes grands-parents paternels, que je n'ai pas connus.

Nous sommes en avril 1908. L'année précédente, Frédéric Chancé a sans doute quitté l'immeuble situé au carrefour de la rue de Richelieu et de la rue du Quatre-Septembre, dans le 2e arrondissement de Paris. Il y était né et il y a résidé au moins jusqu'au décès de sa mère, en octobre 1905.

Mariage Frédéric Chancé et Jenny Letourneau,
Archives personnelles

Il occupe maintenant avec son père un appartement 75 rue Pouchet, dans le 17arrondissement. C'est un grand immeuble de six étages en briques jaunes, dont la construction s'est achevée en 1907(1). Imposant par sa forme en arc de cercle et sa façade agrémentée de frises et de médaillons en briques vernissées de couleur verte, il est situé en bordure de la ligne de la Petite Ceinture, qui servait alors au trafic des marchandises et des voyageurs.

Immeuble 75, rue Pouchet
Source Wikipedia Creative Commons

Frédéric, qui a déjà quarante-deux ans, est employé à la Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris. Celle-ci exploite à l'époque les six premières lignes du métro ; les autres lignes ne sont pas encore construites.

Sa future épouse, Jenny Letourneau, a trente-deux ans. En dépit de son prénom "exotique", elle est née à Angers, où sont père était employé de commerce et sa mère "ouvrière en robes". J'ignore quand elle s'est installée dans la capitale. Au moment de son mariage, elle est, elle aussi, employée de commerce et réside au 226 de la rue Saint-Martin.

Le mariage civil de mes grands-parents est célébré à la mairie du 3e arrondissement, construite sous Napoléon III, sur le côté est du square du Temple, aménagé à la même époque. Frédéric a pour témoins un ajusteur mécanicien et un employé qui résident dans les environs de Rouen : amis ou relations de travail ? ils n'ont apparemment pas de liens de parenté avec lui. Jenny est assistée d'un cousin, pharmacien à Angers, et d'une jeune femme, peut-être une amie, qui habite le même quartier qu'elle.

Les deux époux n'ont pas éprouvé le besoin de faire rédiger un contrat de mariage par un notaire. La cérémonie civile, célébrée en fin de matinée, fut-elle suivie d'une cérémonie religieuse ? Sans doute. Il va falloir retourner aux Archives de Paris pour consulter les registres de catholicité, en commençant par celui de Saint-Nicolas des Champs, l'église la plus proche du domicile de ma grand-mère au moment de son mariage.

La photo du couple, la seule qui me soit parvenue, appelle quelques remarques. Pour la circonstance, mon grand-père a revêtu l'habit : queue-de-pie (ou queue-de-morue ? je ne distingue pas bien la forme des basques), gilet, chemise à plastron et col cassé, cravate blanche. Le haut-de-forme et les gants sont restés au vestiaire. L'impériale et la paupière tombante lui confèrent une troublante ressemblance avec Napoléon III, qui alimenta un temps la légende familiale (mais me paraît hautement improbable aujourd'hui).

Ma grand-mère a la taille incroyablement fine, son opulente chevelure brune est rehaussée d'une couronne de fleurs d'oranger et la traîne de la robe est artistement ramenée vers l'avant. Elle paraît de la même taille que son mari, elle est donc plutôt petite selon nos critères actuels, car Frédéric mesurait un mètre cinquante-neuf lors du conseil de révision. Il fut d'ailleurs ajourné à deux reprises pour "faiblesse de constitution", avant d'être versé dans les services auxiliaires.

Le couple paraît presque en décalage avec son époque, encore tourné vers le XIXe siècle, alors que nous sommes en 1908. Je comprends mieux pourquoi mon père, interrogé un soir où nous tentions de dessiner une ébauche d'arbre généalogique, se trompa de dix ans dans les dates de naissance !

La photographie est fixée sur un support cartonné au nom de l'Union photographique française (U.P.F.), avec une adresse : 58 bis avenue de Neuilly, à Neuilly-sur-Seine. Vous me connaissez, j'ai cherché à en savoir plus. J'ai ainsi appris qu'il s'agissait d'une société coopérative à personnel et capital variables, créée en 1893 par un groupe de dix-neuf personnes (huit opérateurs photographes, un monteur, cinq retoucheurs, quatre tireurs et un directeur, tous actionnaires). Ce qu'aujourd'hui on appellerait une SCOP, c'est-à-dire une société coopérative ouvrière de production ou, depuis 2010, une société coopérative et participative.

L'U.P.F. a notamment photographié les rues parisiennes, à la demande de la Commission municipale du Vieux Paris, s'attachant à "retenir les images d'un Paris pittoresque menacé par le modernisme", selon un article de Catherine Tambrun(2). Les collections sont conservées par le musée Carnavalet. Mais l'entreprise réalisait également des photos de mariage, en liaison avec un café de Neuilly, où elle avait ouvert une succursale au tournant du siècle.

J'ai un regret : il n'y a pas eu, à ma connaissance, de photo de groupe. Impossible donc de savoir qui assista à la cérémonie, s'ils étaient nombreux, quels étaient leurs visages et leur tenue vestimentaire, tous ces éléments qui rendent la généalogie plus vivante.

Mais l'alliance de mon grand-père est parvenue jusqu'à moi, avec cette inscription gravée à l'intérieur : "F.C. 23 avril 1908". Mon père naquit le 31 janvier 1909, soit exactement quarante semaines plus tard…



(1) Voir à ce sujet l'article sur le site de la Mairie du 17e http://www.mairie17.paris.fr/mairie17/jsp/site/Portal.jsp?page_id=586

(2) Photographie et urbanisme à Paris à travers trois fonds de photographie conservés au musée Carnavalet, article de Catherine Tambrun paru dans la revue Espaces et Sociétés 1997/2 n°90

lundi 17 juin 2013

Un mariage sous l'uniforme


En attendant le prochain défi AZ promis pour 2014, Sophie Boudarel nous propose un thème par mois. En juin, le mariage. J'extrais donc de ma photothèque ce cliché, dont je n'avais tout d'abord pas perçu l'originalité. À gauche, mon père sergent dans l'Armée de l'air, à droite ma mère infirmière de la Croix rouge.

Mariage Emmanuel Chancé et Marie-Thérèse Maitreau,
archives personnelles

Si nous avons tous assisté au moins une fois à une cérémonie où le fiancé avait revêtu la tenue militaire, il n'en est pas de même pour la fiancée : ici point de tulle, de taffetas ni de pongé de soie, point de traîne ni de voile vaporeux ! Pour le comprendre, il faut replacer la photo dans son contexte. Elle a été prise le 13 janvier 1940, dans l'appartement de ma grand-mère Julia.

Quatre mois auparavant, la France a déclaré la guerre à l'Allemagne et décrété la mobilisation générale. Mon père, en déplacement à l'étranger, se présente au Consulat de France à Lausanne et rentre précipitamment à Paris. Il y trouve un télégramme adressé par le lieutenant-colonel commandant la base aérienne de Pau au sergent de réserve Chancé : "Rejoignez sans délai". Laconique et péremptoire. Mon père obtempéra et retrouva la base du Pont-Long, où il avait déjà effectué une période d'entraînement six ans auparavant.

Un mois plus tard, mon père est admis à l'hôpital militaire, installé dans l'ancien casino du parc Beaumont, réquisitionné durant la période des hostilités. Il souffre d'une simple angine, mais il semble que le spectre de la grippe espagnole, qui avait fait des ravages à la fin de la guerre précédente, hante encore les esprits en ce mois d'octobre 1939. Lors de son admission, on lui pose deux questions qui le faisaient encore sourire cinquante ans après : "Personne à prévenir en cas de décès ?" et "Dans quelle religion voulez-vous être enterré ?" De quoi remonter le moral de n'importe quel malade…

Il y retrouve l'infirmière en chef, une certaine Madame Dubreil (je ne suis pas sûre de l'orthographe), qu'il avait rencontrée à plusieurs reprises dans des circonstances plus festives, sur les hippodromes et les champs de courses dans les années trente. Cette dernière dépêche à son chevet une jeune infirmière de bonne famille : "Allez donc voir si le sergent Chancé n'a besoin de rien". Devant la clarté de ses réponses, ma mère racontait qu'elle s'était fait cette réflexion : "Tiens, en voilà un qui est moins bête que les autres" !

Quelques jours plus tard, mon père sort de l'hôpital amoureux et guéri. Le 21 octobre, de retour d'une permission consacrée à régler les affaires en suspens, il envoie une carte postale à ma mère. Il emploie le vouvoiement pour lui proposer respectueusement de déjeuner avec elle. J'ignore dans quel restaurant il l'invita, mais je sais que mes parents retirés à Pau fêtaient le 3 octobre, date anniversaire de leur première rencontre, chez Pierre, une bonne table de la rue Louis Barthou.

Les fiançailles sont célébrées le 10 décembre suivant. Au menu : consommé en tasse, turbot au gratin, foies de canard au porto, cèpes à la bordelaise, filet de bœuf, cresson, Mont-Blanc et fruits. Avec un vin différent pour chacun des plats : bordeaux en carafe, Pouilly fuissé 1926, Sauternes Raymond Lafon 1925, Moulin-à-Vent 1926 et champagne Roederer. Le carton bleu au nom d'Emmanuel figure dans les papiers de famille, mais non la liste des participants. Le caractère privé de cette fête la limite généralement au cercle strictement familial.

Mon père, qui ne détestait pas la plaisanterie, offrit d'abord à ma mère une affreuse chevalière en os avec une initiale improbable, avant de sortir de sa poche l'écrin de la véritable bague de fiançailles. Au grand soulagement de celle-ci, qui n'avait osé faire mauvaise figure, mais n'en pensait pas moins.

Malheureusement, mon grand-père Maurice, dont la santé s'était fortement dégradée, décède quelques jours après. Les obsèques ont lieu le 23 décembre, en l'église Saint-Jacques. Ma mère était donc en deuil au moment de son mariage, ce qui peut expliquer, autant que la période sombre de la guerre, le choix d'une tenue pour le moins inhabituelle.

Je regarde plus attentivement la photo et j'y reconnais le portrait de François Morel, lui aussi en uniforme. Je suppose que le petit cadre ovale contient sa médaille de chevalier de la Légion d'honneur, à moins que ce ne soit celle d'Achille Maitreau ; tous deux sont mes ancêtres du côté maternel. Je remarque aussi que le photographe, sans doute perché sur un escabeau, a fait preuve d'un certain amateurisme : on aperçoit le reflet de mon père dans le miroir au-dessus de la cheminée, ce qui n'est pas du meilleur effet !

lundi 10 juin 2013

Une histoire de bastion


Je ne sais pas vous, mais moi, ce sont mes arrière-grands-parents qui me donnent le plus de fil à retordre ! Trop éloignés pour recueillir des informations fiables et détaillées auprès de mes parents (quand ils étaient encore là), trop proches pour avoir librement accès à toutes leurs données d'état civil.

J'ai collecté sans trop de difficultés leurs actes de naissance et de mariage, mais je bute sur les dates et les lieux de décès. Dans le meilleur des cas, je dois me contenter d'une date approximative.

Plan de Paris en 1911, source Wikipédia
Prenons par exemple Madeleine Laubret. En 1865, lors de la naissance de mon grand-père paternel, elle demeurait avec son mari rue de Richelieu à Paris, mais ensuite ? Plus rien. Je savais seulement qu'elle n'était plus de ce monde lorsque son fils s'était marié, en avril 1908. J'avais compulsé en vain les tables décennales des vingt arrondissements de Paris jusqu'en 1902 : soit elle était décédée entre 1903 et 1908, soit elle avait quitté la capitale avant la fin de sa vie, mais pour se retirer où ?

J'en savais un peu plus sur son mari, Frédéric François Chancé, présent lors de plusieurs événements et qui partageait l'appartement de son fils rue Pouchet, dans le 17e arrondissement, lorsque celui-ci épousa ma grand-mère Jenny Letourneau. Mais quand avait-il rejoint l'autre monde ? Mystère. Mon père n'en avait gardé apparemment aucun souvenir.

Alors ces jours-ci, quand Geneaservice a annoncé la mise en ligne de nouvelles séries du fonds Coutot, j'ai craqué ! J'ai tapé mon patronyme dans la petite case spécialement prévue à cet effet et... bingo, il y avait plusieurs fiches potentiellement intéressantes, il fallait juste débourser quelque menue monnaie. J'ai bien résisté deux jours (je réfléchissais à la meilleure façon d'améliorer mes méthodes de travail et de redynamiser mes recherches), et puis j'ai craqué.

Un certain François Chancé, âgé de 76 ans, était décédé boulevard Ney, dans le 18e arrondissement, en octobre 1910 et une certaine dame Chancé, âgée de 69 ans, était décédée rue du Quatre-Septembre en novembre 1905. Mes arrière-grands-parents ? C'était fort plausible. Ils ont longtemps résidé à la première adresse indiquée et un coup d'oeil sur un plan de Paris m'a permis de constater que l'hôpital Bichat, situé boulevard Ney dans le 18e, n'était pas très éloigné du quartier des Épinettes où le père et le fils demeuraient en 1908. Un petit tour sur le site des Archives de Paris, histoire de vérifier qu'il est possible de commander des actes postérieurs à 1902 sur paris.fr, les demandes étant automatiquement transmises aux mairies concernées, et il ne me restait plus qu'à guetter le courrier.

La première enveloppe est tombée dans la boîte aux lettres lundi dernier, la seconde le lendemain. Mon intuition était bonne, il s'agissait bien de Madeleine Augustine Laubret et de son mari. Je note au passage l'extrême concision des fiches : "dame Chancé", alors que l'acte de décès indique bien le nom de jeune fille et les deux prénoms. Une certaine imprécision aussi : la date du 2 novembre est erronée, le décès est survenu le 31 octobre et a été déclaré le 1er novembre. Peu importe, j'ai entre les mains la copie intégrale de l'acte, qui me permet de compléter la fiche de mon arrière-grand-mère dans ma base de données.

L'acte de décès de mon arrière-grand-père est encore plus intéressant. Il est décédé boulevard Ney "bastion 39". Allons bon, de quoi s'agit-il ? Internet est un outil formidable, j'ai trouvé rapidement la réponse à ma question.

Vous savez sans doute que Paris s'est développé à partir d'un noyau que l'on pourrait situer dans l'île de la Cité et que des enceintes ont été successivement construites, notamment au Moyen-Âge, pour défendre la capitale d'éventuelles attaques ennemies… mais aussi pour prélever au passage un impôt sur les marchandises en circulation. C'est d'ailleurs pour cette seule raison que fut construit, sous Louis XVI, le Mur des Fermiers généraux : il n'en subsiste aujourd'hui que deux rotondes, celles de la Villette et celle du parc Monceau, et deux "barrières", la barrière d'Enfer et la barrière du Trône, non loin de la place de la Nation.

Sous la Monarchie de Juillet, entre 1841 et 1844, furent édifiées les fortifications appelées "l'enceinte de Thiers", du nom de l'homme politique qui en fut l'instigateur. Il s'agissait d'un ouvrage à des fins exclusivement militaires, qui englobait non seulement Paris mais également tout ou partie des villages qui l'entouraient (Montmartre, Auteuil, Passy…). Ces derniers seront intégrés à la capitale lorsque celle-ci passera de douze à vingt arrondissements, en 1860.

L'enceinte de Thiers comptait, nous y voilà, quatre-vingt-quinze bastions. Le bastion 39, situé à proximité de la porte de Saint-Ouen, fut désaffecté comme les autres lorsque les fortif' n'eurent plus d'autre utilité que de séparer le Paris intra muros d'une "zone" plus ou moins mal famée. Il servit d'abord de pavillon d'octroi (toujours les impôts), puis fut cédé à l'Assistance publique qui l'agrandit et le transforma en hôpital. Il ne subsiste rien aujourd'hui des bâtiments d'origine, mais l'hôpital Bichat est toujours situé au même emplacement.

Mon arrière-grand-père, qui demeurait non loin de là, dans le quartier des Épinettes, fut donc vraisemblablement admis à l'hôpital Bichat pour y rendre son dernier souffle en octobre 1910.

Dans son numéro de février 2006, le Petit Ney, magazine publié par l'association du même nom, retrace l'histoire de cet hôpital qui, dans un premier temps, ne comptait que 191 lits. Une phrase me laisse rêveuse : savez-vous que "ce n'est qu'en 1902, soit vingt ans après sa construction, qu'une partie de l'hôpital sera alimentée en électricité" ? Une partie seulement ! On peine à l'imaginer, tant son usage nous est devenu naturel.

lundi 3 juin 2013

Un imprimeur fait sa publicité


Je vous ai déjà parlé de mon arrière-grand-mère Madeleine Augustine Laubret, née à Salbris en 1835. J'ai repris ces jours-ci mes recherches dans les archives numérisées du Loir-et-Cher, avec d'autant plus de plaisir que la nouvelle visionneuse en a nettement amélioré l'accès (vitesse d'affichage et mise au point plus performantes, notamment).

La lecture des registres recèle toujours son lot de surprises et ceux de Salbris n'échappent pas à la règle. Je vous recommande le registre paroissial de 1792. Il ne vous aura pas échappé que c'est une année charnière, avant l'apparition du calendrier révolutionnaire et la mise en place des registres d'état civil tenus par les officiers municipaux. Les imprimeurs voient s'ouvrir un nouveau marché et celui de Romorentin en profite pour faire sa publicité.

D'abord avec ce papillon collé sur la couverture du registre paroissial :

AD Loir-et-Cher, Salbris 4 E 232/89

Puis avec cet avis sur la page de garde :

AD Loir-et-Cher 4 E 232/89

La lecture attentive de ce texte laisse quand même planer un doute sur les capacités du préposé à la correction !