lundi 31 mars 2014

Nous vivons une époque formidable


Je viens de passer une douzaine de jours à plusieurs milliers de kilomètres de mon camp de base, dans une région que nos grands-parents appelaient l'Extrême-Orient et où les tours d'habitation de cinquante étages poussent aujourd'hui comme champignons après la pluie.

L'occasion de tester l'accès à Internet. À Singapour, où tout est hors de prix, le wifi dans les hôtels ne déroge pas à la règle. À Taipei, il est gratuit. À Canton, qu'il convient d'appeler désormais Guanzhou, le "login" correspond au numéro de chambre et le mot de passe au patronyme : par mesure de simplification, nous nous appelons tous Ji ! Mais l'accès à Internet est sévèrement contrôlé. Impossible, par exemple, d'ouvrir certains de mes sites favoris, y compris mon propre blog qui, à ma connaissance, ne traite pourtant pas de sujets politiquement sensibles.

Source Icon Archive

C'est donc à Hong Kong que j'ai appris la mise en ligne des registres matricules des Pyrénées-Atlantiques. Je suis habituellement plutôt critique sur l'ergonomie du site des e-archives de ce département, mais là, je dois reconnaître que tout a été fait pour faciliter les recherches. Il suffit de taper un patronyme pour voir apparaître la liste de tous les porteurs du nom. Avec le ou les prénoms, c'est encore plus rapide, naturellement. Sur chaque ligne figure un lien qui permet d'accéder directement à la fiche matricule. Un vrai bonheur !

C'est donc confortablement installée dans l'un des fauteuils de la salle d'embarquement, en attendant le vol de retour vers Paris dans l'aéroport de Lantau, que j'ai pu vérifier sur ma tablette la participation de deux de mes grands-oncles à la Première Guerre mondiale. Je m'en doutais un peu, dans la mesure où ils figurent en uniforme sur une photo de famille, celle où Théodore Fourcade, assis, pose fièrement devant l'objectif, entouré de ses quatre fils.

Théodore Fourcade et ses fils
Archives personnelles

Mais là, j'accède à de nombreuses informations : sur leur service militaire, le régiment dans lequel ils ont été incorporés, leurs campagnes, leurs blessures… alors que je suis très loin de mon bureau favori. Nous vivons une époque formidable !

lundi 24 mars 2014

Prenons la plume et fêtons Internet


La fête de l'Internet a lieu cette année du 18 au 31 mars. Elle a pour thématique "Création, fabrication et expression numériques". Apportons notre modeste pierre à l'édifice en répondant à ces deux questions :
  • Pourquoi avoir créé un blog de généalogie,
  • Quel autre blog de généalogie mettre en avant et pourquoi.


C'est parti !

Pourquoi ai-je créé un blog ? C'est une question de caractère !

Demandez à mes proches, ma qualité première n'est certainement pas la patience, je peux être très bavarde, j'ai fâcheusement tendance à avoir l'esprit d'escalier et je prends parfois un ton un peu professoral… Voilà quatre excellentes raisons pour créer un blog de généalogie.

Je m'explique. L'impatience, d'abord. Je suis incapable d'attendre la fin de mes recherches pour commencer à rédiger l'histoire de mes ancêtres. D'ailleurs, tout le monde vous le dira, la généalogie est un long chemin dont la destination semble s'éloigner au fur et à mesure de notre progression, c'est une ligne d'horizon sans cesse reportée à la limite de notre champ de vision, bref une histoire sans fin… Donc, il est urgent de commencer à écrire, là, maintenant, tout de suite.

Le caractère bavard, ensuite : la généalogie a ceci de bien qu'elle nous fournit mille sujets de conversation. Sur les papiers de famille, les photos anciennes, les métiers de nos ancêtres, les événements qu'ils ont vécus, les mentions insolites dans les registres paroissiaux, les richesses insoupçonnées de Gallica et de la presse ancienne, les dernières nouveautés de notre logiciel favori, les visites aux archives… Plutôt que de soûler vos proches qui n'en peuvent mais, défoulez-vous dans votre blog !

L'esprit d'escalier : vous savez, cette façon de trouver après coup la réplique qui fait mouche, l'anecdote qui aurait si bien illustré notre propos, le nom que nous avions sur le bout de la langue. Eh bien, le blog permet de coucher tout ça tranquillement, j'allais dire sur le papier, mais bon, je sais bien qu'il s'agit d'un journal virtuel. Il n'empêche, cela permet parfois de faire un sort à une petite frustration, en retombant élégamment sur ses pieds.

Quant à mon côté "pédago", il est pleinement satisfait. Je peux faire part de mes découvertes, partager mes connaissances fraîchement acquises, rédiger un billet sur la fiscalité de l'Ancien Régime, un autre sur les campagnes militaires de Napoléon III, exposer mes méthodes de travail, que sais-je… en toute impunité. Ceux qui n'ont pas envie de me lire peuvent bien zapper, je ne les vois pas !

Mais assez de nombrilisme, parlons d'autres passionnés. Quels sont mes blogs préférés en matière de généalogie, ceux dont j'attends avec impatience chaque nouveau billet ?

Choix difficile, pour ne vexer personne. Disons que pour apparaître en tête de mes favoris, il faut remplir quelques conditions. Commençons par la forme, j'aime bien les mises en page sobres et je n'aime guère les publicités envahissantes (a fortiori les fenêtres qui surgissent de façon intempestive sur mon écran). J'apprécie les blogs fréquemment mis à jour, avec les articles les plus récents en tête de liste. Le rythme hebdomadaire satisfait pleinement ma boulimie de lecture.

Continuons la liste de mes desiderata : quelques illustrations, un brin d'humour, des sujets variés et documentés, un talent de conteur, être capable de m'étonner et de me surprendre… J'ajouterai que nul n'est parfait : les fautes d'orthographe et de grammaire m'agacent prodigieusement, les miennes comme celles des autres.

Source Icon Archive

Mais assez bavardé, voici mes trois incontournables :

  • Chroniques d'antan et d'ailleurs, de Brigitte Snejkovsky, qui remplit indiscutablement toutes les conditions énoncées ci-dessus, en nous faisant voyager de la Russie à Salt Lake City, en passant par l'Allemagne, l'Alsace et la Vienne, et j'en oublie sûrement,

  • La Gazette des Ancêtres, de Sophie Boudarel, inépuisable boîte à idées sur tous les sujets qui touchent de près ou de loin à la généalogie et aux technologies qui s'y rapportent,

  • Enfin Lulu Sorcière Archive, de Gloria Godard, là vous avez carrément plusieurs blogs pour le prix d'un seul, allez-y faire un tour, vous n'en ressortirez pas indemne !

Je m'aperçois que j'ai sélectionné trois femmes, trois caractères bien trempés à mon avis, mais rassurez-vous, Benoît, François, Jimbo, Clément et les autres, je vous lis aussi. Je terminerai en disant que de multiples liens permettent de rebondir de blog en blog, au risque d'y passer un nombre incalculable d'heures, pour notre plus grand plaisir.

Voici donc les adresses de mes blogs préférés :

À la semaine prochaine et, en attendant, bonnes lectures !

lundi 17 mars 2014

"Collectionneurs d'ancêtres" versus "story telling"


C'était le sujet de mes réflexions en revenant d'une réunion organisée par la Revue française de généalogie, dans le cadre des Matins malins, par un samedi de mars magnifiquement ensoleillé.


De ce côté-ci de l'Atlantique, il est de bon ton de regarder les collectionneurs d'ancêtres avec une certaine condescendance. Vous savez, ces généalogistes amateurs qui s'efforceraient d'accrocher un maximum de feuilles aux branches de leurs arbres et se contenteraient des trois événements majeurs, baptême, mariage, sépulture, sans chercher à en savoir davantage sur les individus.

Certains accusent même les collectionneurs en question de piquer sans vergogne des branches entières pour les greffer sur leur arbre personnel, par un astucieux copier-coller, afin d'afficher un score impressionnant. Et je me suis laissé dire que des petits futés publiaient volontairement des informations partiellement erronées, de façon à identifier les indélicats ! Erreurs qui se propageraient ensuite de façon virale…

Chacun fait comme il l'entend et je ne jetterai pas la première pierre aux collectionneurs d'ancêtres. Après tout, si j'en crois le petit Larousse, la généalogie consiste d'abord à établir la liste des membres d'une famille, à en rechercher les origines et à en étudier la composition.

Simplement, de nos jours, la mise en ligne de l'état civil et des registres paroissiaux dans la presque totalité des départements de l'hexagone (Hautes-Pyrénées et Gers, ne croyez pas que vous allez passer au travers des mailles du filet, je vous ai à l'œil et vous attends toujours avec impatience !) a rendu la tâche nettement plus aisée. Alors qu'il fallait auparavant échanger de multiples courriers avec les services d'archives et patienter de longues semaines avant de trouver (ou pas) une réponse dans la boîte aux lettres, il suffit maintenant de quelques heures pour reconstituer une branche sur plusieurs générations. Ce qui a modifié notre conception de la généalogie.

Nous souhaitons désormais en savoir davantage sur ceux qui nous ont précédés. Une fois la structure montée et installée, nous avons envie d'y accrocher un décor, de mettre en scène la pièce, de donner vie aux personnages… bref, de raconter une histoire (ne me faites pas dire n'importe quoi, hein : il ne s'agit pas d'écrire un roman).

C'est là, à mon avis, que le "story telling" trouve sa place. Mais de quoi s'agit-il et pourquoi déclenche-t-il parfois des réactions de rejet quasi épidermiques ?

Le "story telling" est une technique de communication qui s'est développée en premier lieu en Amérique du Nord, il y a déjà une trentaine d'années, aussi bien dans le marketing et le monde de l'entreprise que dans la sphère politique. Comme son nom l'indique, il s'agit avant tout de raconter une histoire, de façon à capter l'attention de l'auditoire, en sollicitant son imagination plutôt que sa raison. Celui qui n'a jamais fantasmé sur George Clooney en achetant ses capsules de café ne peut pas comprendre ! "George Clooney is inside" !

Cette technique pourrait être comparée aux contes pour enfants, qui véhiculent souvent un message moral au-delà du simple récit, sans que le jeune auditoire en ait véritablement conscience. Ou aux légendes qui expriment de façon imagée notre conception du monde.

Les conseillers en communication auprès des hommes politiques, les fameux "spin doctors", se sont approprié le procédé. Mais en accordant une importance démesurée à l'image, en jouant exclusivement sur les émotions, en faisant vibrer la corde sensible au détriment des arguments rationnels et de véritables programmes d'action, ils ont rendu le "story telling" suspect aux yeux des observateurs avisés. On leur reproche entre autres turpitudes de rendre floue et perméable la frontière entre vie publique et vie privée, quand on ne les taxe pas carrément de manipuler les électeurs.

Revenons à la généalogie. En quoi le "story telling" peut-il nous être utile ?

Je commencerai par une question : vous avez déjà essayé de capter l'attention de votre auditoire avec une liste de noms et une succession de dates ? bon, je sais, certains acteurs ont tellement de talent qu'ils réussiraient à nous passionner avec la lecture de l'annuaire… mais les autres ?

C'est une question de contenu. Simplement, nous ne disposons pas des mêmes éléments, selon le degré de proximité que nous avons avec nos ancêtres. J'utiliserai l'image  de l'arbre généalogique en éventail, constitué  par des demi-cercles concentriques.

Le premier cercle est celui de nos plus proches parents. Si nous avons la chance de les avoir encore auprès de nous, nous pouvons les interroger, faire appel à leurs souvenirs, solliciter des récits et des anecdotes. En gardant toutefois à l'esprit que la mémoire est sélective : vous obtiendrez non pas "la" vérité, mais leur vérité. C'est ainsi que se forment les légendes familiales, enjolivées au fil du temps par les narrateurs successifs… gare aux déceptions, quand on tente de les vérifier !

Les Américains ont une façon bien à eux de nous faire toucher du doigt l'urgence d'une telle collecte. En nous posant trois questions : savez-vous quelle fut la première maladie infantile de votre mère ? quel fut le premier enterrement auquel votre père assista ? quel était le coin de pêche favori de votre grand-père ? Je crois qu'il ne faut pas s'arrêter à la formulation, mais simplement mesurer combien la mémoire de l'histoire familiale est fragile. Rappelez-vous : combien de fois, avez-vous dit "si j'avais su…", "pourquoi n'ai-je pas posé la question quand il était encore temps…", "qui diable sont ces personnes sur la photo, là…".

Le deuxième cercle est constitué par les parents qui ne sont plus de ce monde et que nous n'avons peut-être pas connus, mais pour lesquels nous disposons de quantité d'éléments : photos, bijoux, cartes postales, correspondance, coupures de journaux, diplômes, médailles, papiers de toutes sortes, qui nous fournissent quantité d'indices sur leur façon de vivre et de s'habiller, sur leurs goûts et même sur leurs traits de caractère. Attention, là encore on touche parfois à quelque chose de très personnel, me direz-vous. Certes, mais qui n'a pas sauté de joie en découvrant un paquet de lettres ou un journal intime ? Notre côté Saint-Simon regardant par le trou de la serrure, sans doute. Éléments à manipuler avec précaution, donc, de façon à ne pas heurter l'entourage, mais pourquoi s'interdire de les utiliser ? Sans virer au déballage. C'est une question de tact.

Le troisième cercle est déjà plus lointain. Pour peu que les ancêtres en question ne sachent pas signer, nous avons le sentiment de ne disposer d'aucun élément à leur sujet. Ils ont pourtant certainement laissé des traces dans les archives, signé des contrats, assisté à des événements, participé à des manifestations de toutes sortes et c'est ici que le généalogiste croise le chemin de l'historien. Les livres, les revues spécialisées et les stages de formation ne manquent pas pour vous expliquer comment procéder.

Donc, vous l'aurez compris, je suis plutôt favorable au "story telling" dûment documenté, s'il est utilisé avec intelligence et discernement. Vous ai-je convaincus ?

lundi 10 mars 2014

Connaissez-vous Lucien Bodard ?


Je m'interroge encore sur mes objectifs généalogiques, après cinq années de pratique intensive : rechercher mes racines ? redonner chair aux ombres captées par le photographe ? détricoter quelques légendes familiales ? mesurer l'impact de l'histoire sur la vie quotidienne de mes ancêtres ?

Je ne cherche nullement à remonter jusqu'à quelque roi mérovingien oublié ou quelque improbable guerrier viking. Je reste dubitative sur l'intérêt de révéler des liens de lointaine parenté entre adversaires politiques d'aujourd'hui. Je ne fais pas davantage partie de ces généalogistes qui recherchent activement un cousinage avec telle ou telle célébrité. En principe… et, d'ailleurs, comment s'y prendre ?

Je suis par ailleurs persuadée que mes ancêtres appartenaient à l'écrasante majorité des agriculteurs, des artisans et des soldats anonymes qui, nous disent les historiens, ont au fil des siècles formé le peuple de France. Si ceux qui m'ont précédée ont parfois gravi quelques échelons de l'échelle sociale, ils n'ont, à ma connaissance, laissé aucune trace dans la mémoire collective.

Mais la curiosité est l'une des qualités du généalogiste, qu'il soit amateur ou professionnel. Aussi ai-je craqué, lorsque j'ai découvert l'option proposée par Geneanet ; je l'avoue volontiers. Sur la page d'accueil, j'ai cliqué sur "Comparer l'arbre" et j'ai coché la case "Cousinages célèbres (Geneastar)". Ma foi, qui ne risque rien…

La réponse est tombée au bout de quelques minutes : trois cousinages, rien que ça, avec trois écrivains, dont deux ne m'étaient pas tout à fait inconnus. J'ai choisi de vous parler aujourd'hui de celui qui m'est le plus familier, Lucien Bodard, journaliste et écrivain, né à Chongqing (Chine) en 1914 et décédé à Paris en 1998.

Portrait de Lucien Bodard
Source kmalden.centerblog.net

J'ai découvert Lucien Bodard d'une façon plutôt inattendue. J'étais encore étudiante et j'effectuais un stage au siège d'une société internationale, dans les beaux quartiers de Paris. Je faisais office d'assistante auprès d'un cadre aux attributions mal définies. Je ne me rappelle plus à quoi il occupait ses matinées, mais je me souviens parfaitement qu'il consacrait la moitié de ses après-midi à la lecture du Monde. À mon avis, l'entreprise l'avait recruté moins pour ses compétences intrinsèques que pour son carnet d'adresses auprès d'une haute administration qu'il avait quittée pour "pantoufler" dans le civil.

Un matin, un homme a fait une entrée fracassante dans le bureau. Il estimait que son père était mis en cause d'une façon déshonorante par Lucien Bodard, dans le livre que ce dernier venait de publier sur la guerre d'Indochine.

Le fils en question passa les deux journées suivantes à rédiger une lettre de protestation dont il venait, à intervalles réguliers, soumettre les versions successives à l'ancien fonctionnaire. L'occasion pour moi de constater que l'entreprise, qui mettait tout en œuvre pour contrôler la présence de son personnel dans les bureaux (horloge pointeuse, appariteurs bloquant les escaliers quinze minutes avant l'heure de sortie…) ne semblait guère se soucier de la productivité de ses employés et de ses cadres durant les heures ouvrables ! Passons…

Cet incident aiguisa ma curiosité, vous vous en doutez, et je m'empressai d'acheter le livre en question. C'est sans doute de cette époque que date mon intérêt pour le continent asiatique. Le torrent verbal, le style foisonnant, les multiples anecdotes et digressions de ce conteur génial y sont sûrement pour quelque chose.

Lucien Bodard, nous dit un article de l'Encyclopædia Universalis abondamment repris par Wikipédia, était le fils d'un diplomate en poste en Chine au moment de sa naissance, en janvier 1914. Le jeune Lucien y passera les dix premières années de sa vie, avant de rentrer en France poursuivre ses études. Trois de ses romans, Monsieur le Consul (Prix Interallié 1973), Le Fils du Consul (1975) et Anne Marie (Prix Goncourt 1981), largement autobiographiques, retracent de façon magistrale cette période.

On le retrouve journaliste, grand reporter pour le compte de France-Soir, correspondant de guerre en Indochine jusqu'à la chute de Dien Bien Phu. Voici le portrait que trace de lui Jacques Chancel(1), lors de leur première rencontre à l'hôtel Continental, à Saigon :
"Bodard nous attendait, enfoncé dans un fauteuil d'osier. J'observais ses yeux de Chinois, son corps lourd, ses vêtements fripés. La non-élégance lui était un luxe. Je découvrais sa gueule, je connaissais sa plume remuante d'adjectifs et d'envolées lyriques. Le grand journaliste de France-Soir, visage froid, regard perdu, cigarette aux lèvres sur laquelle il tirait à petits coups, semblait me deviner."

La scène se passait en 1948. Cinquante-trois ans plus tard, je suis allée boire un thé dans le jardin de cet hôtel mythique. L'atmosphère y était redevenue nonchalante, à l'écart de la circulation de l'ex-avenue Catinat, rebaptisée Dong Khoi.

Lucien Bodard quitta Saigon peu de temps après le désastre subi par l'armée française dans la cuvette de Dien Bien Phu, en mai 1954. Événement d'actualité qui constitue par ailleurs mon premier souvenir radiophonique : je revois le petit poste dans son coffre en bois verni noir, posé sur un meuble bas dans la salle à manger, mes parents et ma grand-mère assis en rond, tendus dans leurs fauteuils, à l'écoute des nouvelles alarmantes diffusées par son haut-parleur, et j'ai encore dans l'oreille la voix tremblante du speaker (comme on disait alors).

Lucien Bodard poursuivit sa carrière de journaliste et d'écrivain, à jamais fasciné par l'Extrême-Orient. En attestent d'autres livres qui figurent sur les rayonnages de ma bibliothèque : La Vallée des roses, La Duchesse, Les Grandes Murailles… Il fit également des apparitions dans plusieurs films, incarnant par exemple le cardinal Bertrand dans le film de Jean-Jacques Annaud, Au nom de la rose.

Il avait ce qu'il est convenu d'appeler "une gueule" et me faisait penser à ces bouddhas chinois, les yeux mi-clos, double bedaine et triple menton, auxquels, par un étrange mimétisme, il ressemblait de plus en plus, vers la fin de sa vie. Il est décédé à Paris en mars 1998, à l'âge de 84 ans.

Nos ancêtres communs, le couple  formé par René Hallet et Louise Vaillant, s'étaient mariés dans l'église Saint-Aubin, au Louroux-Béconnais (dans l'actuel département du Maine-et-Loire), le 27 novembre 1683. La mère de Lucien Bodard, Anne Marie Greffier, la fameuse Anne Marie du roman éponyme, descend à la sixième génération de leur fils Jean.

Finalement, j'ai peut-être trouvé un début de réponse à ma question initiale : la généalogie ne fournit-elle pas l'occasion de mêler récits et souvenirs personnels, dans de courts billets comme celui-ci ?


(1) Jacques Chancel, La nuit attendra, Flammarion, 2013, page 58

lundi 3 mars 2014

Vous avez dit M comme métier ?


Voilà, je cherchais une idée pour illustrer le thème du mois de mars proposé par Sophie Boudarel et j'ai découvert de nouvelles fonctionnalités du logiciel Heredis. Je ne sais pas si elles sont réellement nouvelles, mais disons qu'elles m'avaient échappé jusqu'à ce jour.

Savez-vous que vous pouvez ajouter des professions dans le dictionnaire du même nom ? Jusqu'à présent, je tapais "tailleur d'habits" ou "employé de chemins de fer" dans le champ prévu à cet effet et le logiciel reconnaissait par défaut le premier mot, qui venait ainsi enrichir la liste des professions. Si je voulais faire ensuite un tri pour identifier tous mes ancêtres exerçant le même métier, j'avais de grandes chances  de voir figurer dans la liste les tailleurs de pierre avec les tailleurs d'habits, et les employés de bureau ou de commerce avec ceux des chemins de fer !

C'est là qu'intervient une subtilité : vous allez dans le champ "profession" du module de saisie, vous sélectionnez le texte "tailleur d'habits", vous cliquez sur la petite flèche située à droite et hop ! ce nouveau métier est enregistré dans la base de données.


Deuxième astuce : vous pouvez ajouter des variantes à une profession. Les cultivateurs, fermiers, métayers, laboureurs, closiers, bordagers (et j'en oublie sûrement) sont tous des agriculteurs, non ? Alors, comment faire si je veux savoir combien de personnes figurant dans ma base de données ont travaillé la terre ? c'est simple, en ajoutant des variantes à la profession d'agriculteur, comme on ajoute des variantes orthographiques à un patronyme.


Troisième astuce, qui découle de la précédente : la possibilité de tri par profession, incluant les variantes définies précédemment. Désormais, je vais dans la palette "Individus", je sélectionne le critère "Identité", je choisis le champ "profession", je clique sur la petite loupe pour dire "contient", j'ajoute "agriculteur", je lance la recherche et hop ! voilà 585 individus qui apparaissent, sur les 2 974 pour lesquels j'ai indiqué une profession. Deux seulement sont qualifiés d'agriculteurs dans les actes, mais il faut compter aussi les 245 cultivateurs, les 193 laboureurs, les 31 closiers… je vous fais grâce des autres !


Je note au passage que je peux afficher cette liste par ordre alphabétique des patronymes, par ordre chronologique ou par date de modification. De quoi répondre largement à mes attentes.

J'en ai aussitôt profité pour voir quelles étaient les professions les mieux représentées. Eh bien, ce sont les religieux qui arrivent en tête : ils ne sont pas moins de 757, avec leurs variantes (prêtre, chanoine, diacre, clerc de l'église, clerc tonsuré). Normal, je note systématiquement l'officiant religieux lorsque j'enregistre un acte de baptême, de mariage ou de sépulture.

Ils sont suivis par les agriculteurs déjà évoqués, sans compter les journaliers (129) et les domestiques (68) que j'ai laissés à part, mais qui travaillaient vraisemblablement aussi sur des exploitations agricoles. Jusque-là rien de bien surprenant.

J'ai plus de mal avec les "propriétaires" (175), qui apparaissent dans les actes au XIXe siècle : à quelle catégorie les rattacher ? Exploitent-ils eux-mêmes les terres qu'ils possèdent ou se rapprochent-ils plutôt des "rentiers" (21), qui fleurissent à la même époque ? La distinction entre les deux recouvrait-elle une réalité ou dépendait-elle simplement du bon vouloir de l'officier de l'état civil ?

Viennent ensuite les artisans, dispersés dans mes statistiques selon leur spécialité : 85 tisserands, 38 cordonniers, 30 menuisiers, 25 meuniers… J'allais oublier les "maréchaux", qui n'ont rien à voir avec les militaires, mais qui étaient chargés de ferrer les animaux de trait, chevaux mais aussi bœufs de labour, et de les soigner à l'occasion. C'était le métier de Pierre Mestreau au XVIIe siècle, mon plus lointain ancêtre du côté de mon grand-père maternel.

Je terminerai ce billet par trois métiers qui m'ont d'abord intriguée lorsque je les ai rencontrés pour la première fois : le poupelier, le tireur d'étain et le maréchal en œuvres blanches !

Mes ancêtres poupeliers sont originaires du nord de la Mayenne et faisaient commerce de chanvre ou de lin en bottes appelées "poupées", d'où leur nom. Mon tireur d'étain vivait dans la même région, mais il cardait la laine pour en faire des estames ou estaings. Enfin le maréchal en œuvres blanches n'était autre qu'un taillandier, c'est-à-dire un artisan qui fabriquait des outils tranchants, dont la lame blanchissait sous l'effet de l'affûtage.

Le taillandier
Source gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

Sur ces bonnes paroles, je me demande si je ne vais pas faire un tour en librairie, pour acquérir un dictionnaire des métiers ? à moins de le commander directement par Internet, mais ce n'est pas le même plaisir…