lundi 28 septembre 2015

Une saisie immobilière qui en dit long

Je ne doute pas un seul instant des trésors que recèle la presse ancienne en matière généalogique, mais il se trouve que mes ancêtres sont éparpillés sur une quinzaine de départements. Or très peu d'entre eux ont numérisé la presse locale ; le Maine-et-Loire et la Vendée, assurément, mais les autres ?

C'est donc grâce à Geneanet que j'ai eu accès à des annonces judiciaires parues dans le Journal de la Drôme et dans le Courrier de la Drôme et de l'Ardèche(1). Et que j'en ai appris un peu plus sur le patrimoine d'Antoine Morel (mon Sosa 52) et sur le caractère de son fils aîné, Jean Antoine, le tout par le biais d'une saisie immobilière et d'une vente par expropriation forcée.

Extrait d'une carte du département de la Drôme, 1803
Source Gallica.bnf.fr

Le premier article, paru dans le Courrier de la Drôme et de l'Ardèche du 23 avril 1839, décrit les biens qui font l'objet de la saisie et qui seront à nouveau détaillés dans les parutions postérieures :
  • Une maison d'habitation située dans la grande rue de Peyrus et son jardin attenant ; au rez-de-chaussée une boutique et une cuisine, au premier étage plusieurs chambres (dont le nombre n'est pas précisé), au second un galetas, c'est-à-dire une méchante pièce sous les combles. Si j'ai bien compris, la maison occupe une surface au sol de 50 m2 et le jardin fait à peu près 100 m2.
  • Une autre maison avec un jardin contigu, située à côté de la première et servant d'auberge ; au rez-de-chaussée une boutique, un salon et une écurie sur le devant, une cuisine, une "écurie pour les menus bestiaux", une cave et une basse-cour à l'arrière, un premier étage et un galetas sous le toit. Le tout occupant une superficie de 240 m2.
  • Un fonds de terre labourable sur la commune de Peyrus, "ensemencé en blé, complanté en noyers", d'une surface de 6 920 m2, dans le quartier des Huguets.

 J'ai converti les ares et les centiares en mètres carrés, cela me paraît plus parlant de nos jours, surtout pour une citadine comme moi.

Cela confirme donc le fait qu'Antoine Morel était aubergiste à la fin de sa vie, après avoir été successivement qualifié de foulonnier(2), de cultivateur, de marchand et de cabaretier dans les différents actes d'état civil où son nom apparaît. Et qu'il ne sut jamais signer.

La description des biens figure dans le procès-verbal de l'huissier qui procède à la saisie le 15 avril 1839, en présence de l'adjoint au maire de Peyrus et du greffier de la justice de paix du canton de Chabeuil.

Or Antoine Morel est décédé quelques jours avant, le 2 avril. Il semble donc que Jean Joseph Archinard, Jean François Régis Archinard, tous deux menuisiers, et leur mère Suzanne Elisabeth Juge, veuve d'Antoine Archinard, aient voulu préserver leurs intérêts lors de l'ouverture de la succession. Ils détiennent une créance, dont le montant n'est pas précisé, et requièrent la saisie à l'encontre de Jean Antoine Morel, à l'époque voiturier, fils aîné de l'aubergiste.

L'affaire a dû finalement se régler à l'amiable, puisque les biens sont toujours entre les mains de la famille Morel lorsque, le 4 janvier 1840, un nouvel huissier vient toquer à la porte. Cette fois à la requête de MM. Couvert jeune et Cie, négociants à Lyon. Eux aussi semblent rencontrer des difficultés à se faire payer par Jean Antoine, désormais qualifié de propriétaire et de marchand.

Nouvel inventaire des biens saisis. Outre les deux maisons et le fonds de terre labourable, maintenant "complanté de quelques mûriers et noyers", figurent sur la liste une lande de 10 100 m2 en bordure du torrent (quartier de Péméa), une terre de 2 775 m2 ensemencée en sainfoin(3) (quartier des Petites Perouses), une terre inculte de 1 845 m2 (même quartier des Petites Perouses) et une autre terre de 3 551 m2, dont la moitié en prairie, sur la commune voisine de Châteaudouble (quartier du Petit-Lierne).

Si je précise ainsi les lieux où se trouvent les terres, c'est qu'à ma grande surprise, ces noms figurent sur le site de Géoportail, lorsque l'on clique sur l'option "Parcelles cadastre" !

Mais revenons à notre saisie immobilière : nous apprenons au passage que la première maison est habitée par la veuve Morel, mère du saisi. Il s'agit de Marie Nicolas, qui a maintenant soixante-huit ans et qui décèdera deux jours après le passage de l'huissier. Faut-il y voir une relation de cause à effet ? nous ne le saurons jamais, mais il est permis de se poser la question.

La procédure se poursuit au cours des mois suivants : publications successives du cahier des charges aux audiences du tribunal civil de Valence, adjudication préparatoire aux poursuivants, annonce de l'adjudication définitive prévue à l'audience des criées du 15 juin 1840…

Entretemps, les autres héritiers Morel interviennent et s'opposent à la saisie. Je reconnais au passage François Morel, mon arrière-arrière-grand-père, à l'époque aide-major au 28e régiment d'infanterie de ligne, sa sœur Émilie, mariée avec Antoine Rostaing et demeurant à Chabeuil, et son autre sœur, religieuse.

L'affaire se complique quand un certain François-Elizabeth-Benoît-Ennemond de Lambert (!), rentier, fait valoir une créance sur le père, en vertu d'un acte passé devant notaire en janvier 1837. Il se manifeste, tardivement, en juillet 1840, auprès des héritiers. Mais se voit refuser la saisie des immeubles par le conservateur des hypothèques, les biens immobiliers en question faisant déjà l'objet d'une saisie de la part des sieurs Couvert.

Je passe sur les péripéties de la procédure, les requêtes d'avoué à avoué, la demande de subrogation, le jugement qui déboute les héritiers Morel de leur demande d'opposition, tout un vocabulaire juridique qui ne facilite pas la compréhension !

Finalement, le 25 octobre 1841, Victor Alphonse Charignon, propriétaire et négociant à Peyrus, acquiert les lots 2, 4, 5 et 6 (la maison servant d'auberge et trois terrains) pour la somme de 8 700 francs. Il s'agit là des biens ayant appartenu à Antoine Morel père, qui permettent donc de régler la dette envers le sieur de Lambert.

Les autres lots, c'est-à-dire la petite maison, la lande en bordure du torrent et le terrain sur la commune de Châteaudouble seront mis en adjudication définitive à l'audience du 28 février 1842 pour régler la dette du fils envers les sieurs Couvert.

Il me faudra consulter les archives judiciaires de la Drôme pour connaître le fin mot de l'histoire, mais j'ai d'ores et déjà le sentiment que les relations entre Jean Antoine, le fils aîné, et le reste de la famille devaient être parfois orageuses ! Et j'ai une idée du patrimoine ainsi dispersé, en raison de l'incapacité de certains de mes ancêtres à régler leurs dettes à l'échéance…



(1) Disponibles sur le site Mémoire et actualité en Rhône-Alpes, à la rubrique Presse ancienne.

(2) Artisan qui foule les draps et autres étoffes de laine. Au XVIIIe siècle, Peyrus avait développé une importante activité dans le domaine du textile.

(3) Plante fourragère à fleurs roses, de la même famille que la luzerne.

lundi 21 septembre 2015

Un pacte de mariage en Bigorre (suite)

À la lumière de mes récentes acquisitions, j'ai repris la lecture du pacte de mariage entre Bernard Baritat et Marie Forcade, signé à Aucun le 29 octobre 1696.

Le montant de la dot

Dans un premier temps, j'ai déchiffré quelques mots supplémentaires, ce qui n'est pas pour me déplaire. J'ai ensuite examiné de plus près la dot constituée par Gabriel Forcade et Domengea d'Abadie en faveur de leur fille Marie. Elle s'élève à 1 070 écus petits, moitié en argent et moitié en bétail sain et marchand.

Page du pacte de mariage où est indiquée la dot de Marie Forcade

Selon Roger Castetbon(1), l'écu petit vaut 27 sols, alors que la livre, dont il est également question dans le document notarié, ne vaut que 20 sols. Le montant global de la dot est donc légèrement supérieur à 1 444 livres, ce qui est une somme importante, si j'en juge par l'auteur d'Autour du mariage, qui a étudié 105 contrats et qui a constaté que deux tiers des dots de l'échantillon étaient inférieures à 400 livres.

Les modalités de paiement

Une partie de la dot, correspondant à 500 livres, est payable "de jour en jour" : faut-il comprendre immédiatement, dans la mesure où le solde est réparti sur les six années à venir ? je le pense. Toutefois, les parents de Marie Forcade ne déboursent pas la totalité des 500 livres, car ils incluent dans cette somme un capital de 335 livres, sous forme de "rente constituée au denier dix-huit". De quoi s'agit-il ?

Rappelons-nous que l'Église a longtemps regardé d'un œil suspicieux le prêt à intérêt. La constitution de rente est donc une forme de prêt un peu particulière : le prêteur ne peut en exiger le remboursement (il s'agit d'une rente dite perpétuelle), alors que l'emprunteur peut s'en libérer à tout moment, en remboursant le capital.

Cette rente présente en outre les caractéristiques suivantes, selon Wikipédia : elle est échangeable (ce que font les parents de Marie Forcade en l'utilisant comme mode de paiement de la dot) et elle est garantie par un bien immobilier, qui peut être saisi au premier incident de paiement. Il y est d'ailleurs fait allusion plus loin dans le pacte de mariage.

Passons à l'expression "au denier dix huit". C'est une façon un peu hypocrite de nommer le taux d'intérêt par son inverse : le denier dix-huit correspond à un taux annuel de 5,55 % (soit 100/18), comme le denier vingt correspondrait à un taux de 5 % (100/20).

Le restant de la dot est payable à chaque Saint-Michel. Les cinq années à venir, de 1697 à 1701, les parents de Marie Forcade s'engagent à verser 100 écus en bétail et 27 écus 16 sols en argent. La sixième année, en 1702 donc, ils verseront 35 écus en argent et 35 écus en bétail.

Vous me connaissez, vieux réflexe professionnel, j'ai vérifié : s'ils respectent leurs obligations, ils auront finalement versé 225 sols de plus que la somme initialement définie ! Une façon astucieuse de rémunérer le délai obtenu sans le dire ?

La transmission du patrimoine

Le pacte de mariage prévoit également que le premier enfant du couple, mâle ou fille, héritera des biens des mariés. C'est le principe de la "maison" pyrénéenne, évoqué dans un précédent billet(2). La mortalité infantile étant fort élevée à l'époque, si l'aîné n'est plus de ce monde au moment de l'héritage, ce sera l'un des suivants, toujours selon l'ordre de primogéniture.

Enfin, les plus jeunes, qualifiés ici de puînés, seront "légitimés". Attention, pas de contresens, cela veut tout simplement dire qu'ils recevront une "légitime" lors de leur mariage, c'est-à-dire une dot. Tout comme Marie, qui devait être une cadette de la maison Forcade…

Et comme il ne faut négliger aucune éventualité, s'il n'y avait aucun enfant survivant, "en cas de défaut de succession ou autre cas de retour", le capital ainsi que l'ameublement (dans l'état où il se trouvera, c'est précisé dans le contrat) seraient restitués à la famille Forcade. C'est le principe de la "tournedot".

Me voici un peu plus au fait des coutumes pyrénéennes…



(1) Roger Castetbon, Autour du mariage, La vie d'antan en Béarn et autres lieux – II, Centre généalogique des Pyrénées-Atlantiques, 2011, 195 pages

(2) Voir "Des ancêtres qui donnent du fil à retordre", publié le 13 juillet 2015.

lundi 14 septembre 2015

Le charme discret des librairies régionalistes

Connaissez-vous la librairie Marrimpouey à Pau ? Le nom, déjà, fleure bon le sud-ouest.

J'en ai poussé la porte, le mois dernier. Je cherchais de la documentation sur les pactes de mariage en Bigorre, sous l'Ancien Régime, et sur le costume traditionnel bigourdan. C'est ainsi que j'ai présenté ma requête à la personne qui m'a aimablement accueillie, mais je ne suis pas sûre qu'il soit nécessaire d'être aussi directe ; les chemins de traverse ont aussi leur charme…

Dans un premier temps, j'obtins une réponse qui me sembla négative. Mon interlocuteur me consacra néanmoins un moment pour m'expliquer les subtilités des mariages entre héritiers et cadettes ou cadets et héritières, les dots et les "tournedots"(1), et je ressortis avec deux livres sous le bras (le minimum que je puis faire quand je pénètre dans une librairie). Et la vague promesse d'un ouvrage sur le costume pyrénéen, à condition toutefois que la pluie ne vienne pas entraver le projet d'un passage par le lieu où il était stocké !

Je mis à profit les deux jours suivants pour lire mes acquisitions : un Guide de généalogie dans les Pyrénées-Atlantiques(2) et un ouvrage intitulé Autour du mariage(3).

Le premier s'adresse plutôt à des débutants, mais il comporte néanmoins d'intéressantes précisions sur les particularismes locaux : l'existence de deux sites d'archives départementales, l'un à Pau et l'autre à Bayonne, une double identité culturelle, l'une basque et l'autre béarnaise, les variantes des noms de famille, l'importance de la "maison", les "cagots", l'émigration vers l'Amérique latine et l'Amérique du nord… donc, à garder sous le coude et à consulter, en cas de besoin.

Le second ouvrage fait partie d'une trilogie intitulée La vie d'antan en Béarn et autres lieux. Fort bien documenté, il comprend un chapitre d'une cinquantaine de pages sur les contrats de mariage, largement de quoi éclairer ma lanterne et répondre à mes précédentes interrogations !

C'est donc le cœur plein d'espoir que je retournai à la librairie deux jours plus tard. Même accueil avenant que la première fois. La météo ayant été relativement plus clémente que prévu, le livre sur les costumes pyrénéens(4) était à ma disposition, à un tarif avantageux de surcroît ! J'en profitai pour acquérir également Autour du décès(5), qui fournit quantité d'informations sur les testaments, les inhumations, les registres paroissiaux, l'art funéraire et divers épisodes de l'histoire de France qui furent fatals à nombre de Basques et de Béarnais.


Bon, vous me direz, dans la foulée, j'aurais pu également acheter le premier tome de la trilogie, intitulé Autour de la naissance, mais j'ai parfois l'esprit d'escalier ! Peu importe, j'aurai bien l'occasion de revenir à Pau, car je n'en ai pas encore épuisé tous les charmes.

Et voilà comment les étagères de ma bibliothèque consacrées à la généalogie et à l'histoire se remplissent peu à peu…




(1) Clause qui prévoit la restitution de la dot à ceux qui l'ont réglée, en cas de stérilité du couple.

(2) Guide de généalogie dans les Pyrénées-Atlantiques, Béarn-Pays basque ex Basses-Pyrénées, ouvrage collectif réalisé et édité par le Centre généalogique des Pyrénées-Atlantiques, 2015, 81 pages

(3) Roger Castetbon, Autour du mariage, La vie d'antan en Béarn et autres lieux – II, Centre généalogique des Pyrénées-Atlantiques, 2011, 195 pages

(4) André Lasserre, Le costume pyrénéen, Éditions Cairn, 2011, 165 pages

(5) Roger Castetbon, Autour du décès, La vie d'antan en Béarn et autres lieux – III, Centre généalogique des Pyrénées-Atlantiques, 2013, 252 pages

lundi 7 septembre 2015

Fructueuses vacances

Tous les généalogistes amateurs vous le diront, il est parfois plus difficile d'obtenir des informations précises sur les générations qui ont immédiatement précédé la nôtre que sur nos plus lointains ancêtres. Mémoire défaillante, souvenirs flous, photos non identifiées, confusion entre différents personnages, légendes familiales enjolivées au fil du temps… sans parler des registres d'état civil du XXe siècle non disponibles en ligne ! Bref, tout s'en mêle.

Quand je regardais la liste de mes ancêtres directs sur les quatre premières générations dans Heredis, je constatais que les histogrammes qui matérialisent leurs trois événements majeurs (naissance, mariage, décès) n'étaient pas complets, loin s'en faut. Même remarque pour mes tantes, mon oncle et l'un de mes grands-oncles. À trop feuilleter virtuellement les pages des archives numérisées, on en oublierait vite les bonnes vieilles méthodes.

Je profitai d'un projet d'escapade dans le Béarn pour établir une courte liste :
  • Consulter les tables décennales de la ville de Pau pour la période 1903-1912,
  • Consulter celles de Lons pour les périodes 1903-1912 et 1913-1922,
  • Enfin, faire un tour dans une librairie régionaliste.

 En croisant les doigts pour ne pas trouver porte close la semaine qui précède le 15 août !

Accompagnée d'une de mes cousines, je me présentai d'abord au service de l'état civil de la mairie de Pau et exposai ma requête à la personne de l'accueil. Un nom, un prénom, pas de date précise… l'employée de mairie pianote sur son ordinateur, clique sur une ligne, une feuille format A4 sort de l'imprimante, deux coups de tampon, une signature et hop ! me voilà avec la copie de l'acte de décès de Valérie Eugénie Morel entre les mains. En quelques minutes à peine ! Un peu déçue de n'avoir pas tourné moi-même les pages d'un registre, mais ravie d'avoir enfin obtenu le document qui manquait à ma base de données.


Enhardie par le succès, je renouvelai l'expérience l'après-midi même à la mairie de Lons, puis retournai les jours suivants à Pau et à Lons pour collecter divers actes de naissance et de décès. Bénissant au passage le législateur qui a instauré le principe des mentions en marge des actes de naissance, permettant ainsi d'avoir connaissance des dates et lieux de mariage, de divorce, de décès…


La numérisation des actes dans les mairies n'a certes pas le charme suranné des vieux papiers, mais elle est remarquablement efficace. Quant à la librairie régionaliste… j'y reviendrai la semaine prochaine.